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10 ans de présence à Bruxelles


Thierry Repentin, Parlement européen, audition sur la politique de cohésion et l’efficacité énergétique, 10 novembre 2010

"Nous sommes face à un enjeu majeur, celui de répondre aux besoins croissants en logements abordables des citoyens européens face à la crise économique et à la montée du chômage et de l’exclusion tout en étant directement frappés par les mesures d’austérité budgétaire et de réduction des fonds publics pour le logement social."

Après dix ans de présence à Bruxelles, comment caractériseriez-vous l’évolution des débats européens sur le logement social ?

Ce qui m’a le plus surpris, c’est d’une part la rapidité et l’impact du droit de l’Union européenne sur le logement social - je pense notamment aux règles du marché intérieur et des aides d’Etat - et d’autre part, l’inscription progressive du logement social dans les politiques communautaires, notamment de cohésion et de lutte contre les changements climatiques. L’effet de levier de ces politiques sur les territoires, à travers le FEDER et le FSE, a été réel depuis le plan de relance du Président Barroso en 2008.

Taux réduits de TVA, exclusion du logement social de la directive services, exemption de notification des aides d’Etat aux organismes d’Hlm, éligibilité au FEDER de la rénovation thermique des logements sociaux et de l’accès au logement des groupes défavorisés, autant d’exemples de notre pleine et entière implication dans le processus législatif communautaire.

Ce que je constate surtout, c’est l’imbrication de plus en plus étroite entre ce qui se passe dans les territoires et ce qui se passe à Bruxelles. Cela traduit un degré d’intégration européenne de plus en plus élevé.

Les deux crises auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés, la crise du marché et la crise des Etats et de leur dette, renforcent encore cette imbrication du local et de l’Europe, y compris dans la définition même du logement social et de son rôle face à la défaillance des marchés du logement.

Les récentes décisions de la Commission européenne aux Pays-Bas et en Suède n’ont pas satisfait l’USH. Quel rôle l’UE doit-elle jouer selon vous ?

En effet, j’ai tenu personnellement à ce que l’USH saisisse la Cour de justice de l’Union européenne en appui au recours de nos homologues néerlandais contre la décision de la Commission de 2009.

La Commission, en tant qu’autorité européenne de concurrence, n’est pas compétente pour définir a priori, unilatéralement et sans contrôle démocratique, les missions imparties aux organismes de logements sociaux par les législateurs nationaux ou régionaux.

Cela va bien au-delà de l’appréciation de l’erreur manifeste de qualification de service d’intérêt général. Car la Commission se substitue de fait à l’Etat-membre pour définir a priori les missions du logement social. La Commission doit clairement se cantonner au mandat d’autorité de concurrence du Traité et veiller à l’absence de toute surcompensation.

Le protocole sur les services d’intérêt général du Traité de Lisbonne, proposé par le premier ministre hollandais en réaction à cette pratique décisionnelle de la Commission en matière de logement social, est explicite de ce point de vue.

En tout état de cause, cette pratique décisionnelle a touché aux fondamentaux du logement social : loger les personnes dans le besoin, par la mixité sociale, dans le respect d’obligations de service public (accessibilité financière des logements, règles et de procédures d’attribution en terme de priorité d’accès, sécurité d’occupation des logements). Elle pose la question du déficit démocratique qui caractérise ce type de décision unilatérale de la Commission en l’absence de cadre législatif de référence.

Je doute que le Conseil et le Parlement européen, s’ils avaient eu à se prononcer sur cette soit disant erreur manifeste d’appréciation, auraient suivi la Commission dans son analyse du service public du logement social et de son périmètre d’intervention dans le marché. Ces deux enjeux renvoient à des préférences collectives ancrées localement que seuls les colégislateurs communautaires sont en capacité d’intégrer.

La question de l’opportunité d’un cadre législatif propre aux services sociaux d’intérêt général reste donc posée de ce point de vue. Je partage pleinement la vision de Vladimir Spidla, ancien Commissaire à l’emploi et aux affaires sociales, que nous y arriverons tôt ou tard. Question de maturation politique d’un sujet complexe et particulièrement sensible.

Je reste toutefois confiant sur la capacité du Collège des Commissaires, notamment sous l’impulsion de Michel Barnier et de Joaquin Almunia, à revenir sur cette pratique décisionnelle dans le sens d’un réel respect du principe de subsidiarité et des missions de mixité sociale et de diversité de l’habitat imparties aux organismes de logement social. Les nouvelles dispositions du paquet Almunia vont d’ailleurs dans ce sens. Elles ont été pleinement soutenues par le Parlement européen dans le rapport de Peter Simon, voté à une très large majorité, qui y affirme un objectif prioritaire de mixité sociale.

Perspectives : quels sont les autres grands défis à surmonter pour le logement social ?

Nous sommes face à un enjeu majeur, celui de répondre aux besoins croissants en logements abordables des citoyens européens face à la crise économique et à la montée du chômage et de l’exclusion tout en étant directement frappés par les mesures d’austérité budgétaire et de réduction des fonds publics pour le logement social.

Il nous faut repenser notre modèle économique mais les marges de manœuvre restent étroites pour peser sur l’offre de logements et son accessibilité financière.

La crise de la dette appelle de nouvelles réponses structurelles aux besoins croissants en logements abordables. La régulation des marchés du logement est un passage obligé face aux conséquences désastreuses des cycles immobiliers et des phénomènes de bulles, pour la stabilité de la zone euro mais surtout pour les ménages à revenus modestes. La consolidation de circuits spécifiques de financement du logement social est également nécessaire face au retrait des banques et à la volatilité des taux d’intérêt.

L’Europe peut agir très concrètement, en impulsant par exemple de nouveaux instruments financiers solidaires et en organisant une meilleure surveillance macroéconomique des bulles immobilières.
Nous sommes également face à des enjeux nouveaux tels la lutte contre la pauvreté énergétique qui se développe et la nécessité de rénover le parc de logements sociaux pour renforcer sa performance énergétique, le vieillissement de la population, l’adaptation des logements et le développement de nouveaux services aux personnes dépendantes, l’accès au logement des jeunes qui sont les premières victimes de la crise et de l’exclusion du marché de l’emploi.

Là aussi, l’Europe peut jouer un rôle moteur. La politique de cohésion dispose d’un effet de levier considérable en matière de performance énergétique des logements et de leur adaptation aux besoins des personnes âgées tout en contribuant à la création dans les territoires, d’emplois non délocalisables.

Approche universaliste vs approche résiduelle : peut-on vraiment loger tout le monde, sans priver les plus nécessiteux ?

Il ne s’agit pas de loger tout le monde mais les personnes dans le besoin qui éprouvent des difficultés d’accès à un logement décent à un prix abordable.

Il s’agit bien entendu prioritairement des personnes défavorisées mais également des familles monoparentales, des jeunes, des personnes âgées, des ménages ayant des revenus stables mais trop faibles pour accéder au logement là où ils travaillent ou encore victimes de discrimination dans l’accès au logement. Et ce, en évitant la spécialisation sociale de certains immeubles, quartiers ou territoires et en préservant la mixité et la cohésion sociales.

Une mission de service public d’une grande complexité qui renvoie à une identification des besoins en logement au niveau local et à des réponses adaptées à chaque territoire.

Telles sont les missions qui nous ont été confiées démocratiquement par le législateur et que les juges du Tribunal de Première Instance de Luxembourg ne pourront que constater.


19 décembre, Bruxelles

Logement social et UE2020 : 10 ans de présence de l’USH à Bruxelles

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