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Conceptions du logement social
Les conceptions du logement social ne sont pas homogènes dans les 27 Etats membres de l’Union européenne.
Et pour cause, les situations des marchés du logement y sont très spécifiques. Les missions du logement social définies aujourd’hui restent profondément ancrées dans les cultures et les modèles sociaux des Etats membres.
Ces missions sont également dépendantes de l’importance du patrimoine de logements sociaux existants et des capacités locales à le développer._
Elles sont ainsi assez fortement tributaires des choix du passé même si dans de nombreux Etats membres, on a pu observer des ruptures assez sensibles dans la définition des missions à l’instar du Royaume-Uni dans les années 80 ou plus récemment dans les nouveaux Etats-membres.
Elles s’inscrivent également en articulation étroite avec les autres instruments de politique du logement orientés sur le secteur privé et avec le degré de régulation du marché du logement par la puissance publique.
Conceptions du logement social : essai de typologie
Les missions spécifiques confiées au logement social par les autorités publiques des Etats membres peuvent être classifiées en trois grandes conceptions que nous définirons sur base de trois critères :
1. la référence à la demande sociale, à savoir la demande non satisfaite spontanément par le marché pour cause d’accessibilité financière et sa traduction en termes d’obligations spécifiques de service public en matière d’attribution des logements sociaux et de politique tarifaire ;
2. la référence à l’impact sur le marché du logement du système de logement social, notamment quant à son ambition de contribuer à réguler le segment privé du marché ;
3. la référence à l’existence d’éventuelles zones de friction avec le segment privé et avec le droit communautaire de la concurrence, notamment quant à l’appréciation de l’abus manifeste dans la qualification du service d’intérêt général opérée par la Commission européenne.
Ces conceptions du logement social peuvent être qualifiées de la façon suivante :
1. conception résiduelle
Les missions sont strictement définies en référence au logement des personnes défavorisées et des groupes sociaux clairement identifiés en raison de leur exclusion effective ou potentielle du marché du logement pour des raisons multiples (sélection des risques, discrimination, inadaptation de l’offre à la demande…).
Cette conception n’a pas pour vocation à impacter le fonctionnement du marché du logement mais au contraire, de rendre son fonctionnement par sélection des risques socialement acceptable en prenant en charge la demande sociale qui s’en trouve exclue et qui est ainsi « dans le besoin ».
Le phénomène d’exclusion est d’autant plus prononcé que le marché du logement est dominé par une offre quasi exclusive de logements en accession à la propriété et caractérisé par une faiblesse de l’offre locative privée.
Cette conception se traduit par l’existence d’obligations de service public assez draconiennes en matière d’attribution des logements, généralement par attribution directe par les collectivités locales, et par une prise en charge quasi intégrale du loyer par les systèmes d’aide sociale dont dépendent les ménages bénéficiaires.
Cette logique de segmentation et de spécialisation ultra sociale n’induit par nature, pas de réelles frictions avec le secteur privé et correspond pleinement à la définition communautaire du service d’intérêt général du logement social telle que formulée dans les décision de la Commission européenne sur l’Irlande et le Royaume-Uni par exemple, deux Etats membres que l’on peut classer dans cette première catégorie.
On peut également y intégrer le Portugal et l’Espagne partiellement pour le secteur locatif social, Malte, la Hongrie, l’Estonie, la Slovaquie, Chypre, la Lituanie, la Lettonie, la Bulgarie et la Roumanie. Ces pays ont en effet un commun un marché du logement caractérisé par une très forte domination de propriétaires occupants, une offre locative privée marginale et non régulée et un secteur locatif social clairement orienté sur la satisfaction des besoins en logement des personnes défavorisées ou des groupes sociaux exclus du marché du logement et étant dans le besoin d’être logés.
2. conception généraliste
Les missions sont définies plus globalement en référence au logement des personnes ayant des difficultés à accéder à un logement aux conditions prévalant sur le marché en raison de l’insuffisance de leurs revenus.
Cette conception concerne une cible de bénéficiaires plus diversifiée bien que circonscrite à une demande sociale, incluant les personnes défavorisées et les groupes cibles mais également tout ménage disposant de faibles ressources, cette notion de faibles ressources pouvant être fluctuante bien que définie généralement en référence à des plafonds de revenus conditionnant l’accès au logement social.
Les obligations de service public en termes d’attribution sont plus souples et en général appliquées sous la responsabilité du propriétaire bailleur en référence à des règles et des procédures spécifiques qui s’imposent à lui.
En matière de politique tarifaire, le prix du logement est en général plafonné et le ménage bénéficie d’une aide sociale dédiée prenant en charge une partie du loyer en tiers payant en fonction du niveau de ses revenus.
Cette conception est plus ambitieuse quant à son impact sur le marché privé car elle vise également à peser sur le niveau global de l’offre de logements, et par conséquent sur son niveau général de prix, et a pour vocation à répondre à une demande sociale plus large.
Son degré d’impact réel sur le marché du logement dépend in fine de l’importance de l’offre de logements sociaux dans les marchés locaux.
Peu de frictions avec le secteur privé sont constatées dans les Etats membres, cette conception répond également aux exigences communautaires de centrage sur une demande sociale qui est certes définie plus globalement, mais en référence explicite à des plafonds de revenus délimitant clairement le périmètre de la demande sociale en référence à une difficulté d’accéder au marché du logement pour cause d’insuffisante solvabilité.
Il convient toutefois de noter qu’en fonction de l’évolution des niveaux de plafonds de ressources définis, de l’absence d’indexation de ces plafonds ou de l’insuffisance de l’offre de logements sociaux, les missions du logement social relevant sur le papier de cette conception généraliste peuvent progressivement glisser dans les faits vers une conception résiduelle du logement social.
C’est le cas en Belgique en raison de la faiblesse de l’offre de logements sociaux ou en Allemagne par l’absence d’indexation des plafonds de ressources et le conventionnement temporaire des logements sociaux, ou plus délibérément comme au Royaume-Uni par les réformes du début des années 80 visant à privatiser le logement social communal, à construire une « nation de propriétaires » et à transférer le parc de logements communal à vocation généraliste aux bailleurs sociaux agréés tout en resserrant le ciblage social.
Une grande majorité des nouveaux Etats membres partagent également ce processus d’évolution de la conception du logement social par la privatisation du parc locatif public généraliste et le développement d’une nouvelle offre de logements sociaux très ciblée sur des groupes sociaux en difficulté.
Ce glissement tendanciel peut également s’opérer dans les faits au sein même d’un Etat membre à l’échelle de groupes de logements sociaux et de quartiers périphériques dans lesquels peuvent être concentrés les ménages défavorisés et les groupes cibles exclus, notamment les populations immigrées ou issue de l’immigration comme en France, aux Pays-Bas ou en Suède par exemple.
Cette conception généraliste du logement social se retrouve en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Luxembourg, en Espagne dans l’accession sociale à la propriété, en Italie, Finlande, France, République Tchèque, Slovénie et Pologne.
3. conception universelle
Parfois qualifiée de logement d’utilité publique, et qui est caractérisée par l’absence de ciblage sur une demande sociale donnée, mais qui a pour mission de fournir un logement en direction de l’ensemble de la demande, demande sociale inclut, en complément de l’offre présente sur le marché.
La vocation première est de peser sur les conditions du marché en développant une zone de basse pression en termes de prix par une politique tarifaire de logements aux coûts réels et non en référence aux valeurs de marché, en ne procédant pas à une sélection des risques client dans le processus d’allocation des logements et en offrant une sécurité d’occupation du logement que n’offre pas le segment privé du marché.
Dans certains Etats membres, tels le Danemark et la Suède, le rôle important des locataires est également une caractéristique propre de cette conception universelle, en témoignent la loi danoise sur la « démocratie des locataires » et le système suédois de négociation des loyers.
Les obligations de service public en termes d’attribution sont relativement souples et se traduisent par la constitution de listes d’attente sur base de la date d’inscription comme en Suède, certaines listes d’attente pouvant intégrer des facteurs de priorité liés à la nature du besoin en logement comme aux Pays-Bas, voire un quota de réservations prioritaires accordé aux collectivités locales comme au Danemark.
Ce concept de secteur de référence induit par définition certaines frictions avec le secteur privé à l’exemple de la Suède et des Pays-Bas, deux Etats membres où des plaintes pour distorsion de concurrence ont été instruites par les investisseurs privés tant en droit interne qu’en droit communautaire.
Cette conception universelle du logement social ne correspond pas à la définition du service d’intérêt général du logement social que s’est donnée la Commission européenne dans son jugement de l’abus manifeste car il va bien au-delà de la satisfaction de la demande sociale.
L’argumentaire développé dans la lettre de mise en demeure adressée par la Commission européenne aux Pays-Bas en témoigne. Cette conception correspond de fait davantage à un service d’intérêt général du logement, et non pas du logement social, en référence à ses missions universelles en direction de la demande globale de logements, et à sa mission de régulation du marché, même si elle n’est pas explicitement qualifiée comme tel par les Etats membres concernés.
Cette conception de service d’intérêt général du logement n’interdit pas non plus un glissement partiel vers la conception résiduelle du logement social qui peut s’opérer au sein même de certains groupes de logements sociaux et de quartiers, dans lesquels peuvent être concentrés les ménages défavorisés et les groupes cibles exclus, notamment les populations immigrées à l’image de certaines banlieues de Stockholm et d’Amsterdam.
Cette troisième conception universelle du logement social est présente en Suède, aux Pays-Bas et au Danemark, Etats membres partageant une structuration du marché du logement assez homogène, composée d’un faible taux de propriétaires occupants, d’un secteur locatif privé dynamique bien que régulé par l’Etat et d’un secteur locatif social d’utilité publique très représentatif et dominant le marché locatif.
La situation présente en Grèce en matière cette fois d’accession sociale à la propriété peut être également associée à cette conception car elle a pour vocation de répondre aux besoins en logement de l’ensemble des salariés du secteur privé même si elle relève d’un contexte totalement différent.
En l’état actuel des précontentieux communautaires engagés à l’encontre des Pays-Bas et de la Suède, les solutions proposées par ces Etats membres pour se conformer aux règles communautaires de concurrence et à l’approche du logement social développée par la Commission européenne sont diverses.
Aux Pays-Bas, la Ministre du logement a proposé au Parlement d’introduire un plafond de revenus à l’accès au logement social et de basculer ainsi dans la conception généraliste du logement social plus « euro compatible » et conforme à la position de la Commission européenne en termes d’erreur manifeste du service d’intérêt général du logement social.
Cette proposition a été rejeté par le Parlement hollandais et n’a pas été reprise par le nouveau gouvernement récemment constitué début 2007 qui ne s’est pas encore prononcé sur la question.
En Suède par contre, où le terme même de logement social n’est pas usité voire rejeté, l’hypothèse en cours d’analyse au sein du nouveau gouvernement installé en 2007 a consisté à maintenir la conception universelle du « logement social » tout en neutralisant l’impact du droit communautaire de la concurrence par la suppression de toute aide d’Etat en direction des sociétés communales de logement et par l’assouplissement du contrôle des loyers dans le secteur locatif privé.
Ces mesures permettent en effet de garantir une égalité de traitement entre les sociétés communales de logement et les sociétés d’investissement immobilier sans remettre en cause les instruments de régulation du marché du logement et la conception universelle du « logement social » mais en renonçant à la qualification explicite de service d’intérêt économique général.
L’incidence du droit communautaire sur les systèmes de logement social des Etats membres n’est donc pas uniforme. Elle dépend de la nature des missions spécifiques qui sont assignées au logement social et à ses opérateurs en lien avec la satisfaction de la demande sociale.