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De la proclamation du droit au logement à l’obligation de fournir un logement
Cette possibilité de réclamation collective introduite par le Conseil de l’Europe en matière de mise en œuvre effective du droit au logement a été utilisée pour la première fois sur une base globale à l’encontre de la France .
La réclamation enregistrée le 1er février 2006 porte en effet sur l’article 16 relatif au droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique, l’article 30 relatif au droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale et l’article 31 sur le droit au logement seuls ou en combinaison avec l’article E relatif à la non-discrimination de la Charte sociale. Il est allégué notamment des manquements au droit au logement des personnes vivant dans une situation de grande pauvreté. Le Comité européen des Droits sociaux a déclaré la réclamation recevable le 12 juin 2006 et a enclenché le processus de traitement de la réclamation collective à l’encontre des autorités françaises.
Au regard de l’effectivité du droit au logement, il est indéniable que les Etats membres ayant confié de par la loi la responsabilité de la mise en œuvre effective du droit au logement à une autorité publique spécifique sont les plus en pointe, tels l’Allemagne, le Danemark, la Suède, la Pologne, l’Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, et plus récemment en Estonie et Bulgarie. Dans ces Etats membres, il incombe explicitement aux collectivités locales de fournir un logement aux personnes qui en sont exclues. Que ce soit en référence à un droit au logement reconnu, à un objectif de lutte contre l’exclusion ou à un impératif d’ordre public, ces dispositions législatives ont le mérite de clarifier les responsabilités et de les établir en termes de mise en œuvre effective, au plus près des besoins c’est-à-dire à l’échelle de l’autorité publique locale.
L’exemple de la Ville de Cologne A Cologne, une des rares villes d’Allemagne connaissant une situation de tension sur le marché du logement avec Stuttgart, Hambourg, Francfort et Munich, cette obligation de fournir un logement aux personnes sans domicile ou menacées d’expulsion a été à l’origine de la définition d’une véritable politique locale. Celle-ci vise d’une part à assurer la mise à disposition d’une gamme de solutions adaptées à la nature des personnes à loger et d’autre part, à mettre en place une politique de prévention des expulsions de logement, en concertation avec les tribunaux et les propriétaires bailleurs, en instaurant des pratiques de « réquisition » des logements lui permettant de maintenir les personnes en place en contrepartie du paiement du loyer et des arriérés éventuels.
Cette politique a été mise en place sur base d’un calcul économique simple qui a démontré qu’il coûtait moins cher à la Ville et ainsi aux contribuables locaux, de maintenir les personnes menacées d’expulsion dans leur logement en se substituant à eux pour le paiement des loyers que de les prendre en charge une fois expulsées.
L’action de la ville de Cologne se concentre sur environ 10 000 ménages qui sont exclus de l’accès au logement par les voies de droit commun ou menacées de l’être. Il s’agit de populations africaines, de familles monoparentales, de ménages qui ont déjà été expulsés à plusieurs reprises... Il ne s’agit pas toujours des plus pauvres mais de ceux qui, pour diverses raisons ne se verront pas proposer un logement social conventionné de façon spontanée par les propriétaires bailleurs privés sous convention. Certains de ces ménages nécessitent un accompagnement social, d’autres non. Pour être en mesure de répondre à ces besoins, la ville de Cologne achète des droits d’attribution auprès des bailleurs privés sous convention. Elle apporte au propriétaire une garantie totale de tous les risques locatifs. La ville a également des logements qui lui appartiennent en propre.
Il y a environ 3 000 expulsions par an à Cologne. 60 % proviennent du parc privé. La ville se doit d’avoir une politique de réserve de logements sinon elle est conduite à recourir massivement à l’hébergement hôtelier. Il y a quelques années, elle dépensait jusqu’à 11 millions d’euros de notes d’hôtel par an pour assurer ce relogement obligatoire. Actuellement, il y a encore près de 400 personnes à l’hôtel faute de réservation suffisante de logements permanents. Le coût total de cette politique de prévention s’élève à 60 millions d’euros par an.
Si le code civil allemand permet la résiliation du bail sur décision de justice après 2 mois d’impayés, la loi fédérale oblige les tribunaux à aviser les autorités communales de tous les cas d’expulsions résultant d’un impayé de loyer. Le service communal fait une enquête auprès des familles. Pour la ville de Cologne, l’intervention préventive en matière d’expulsion est de loin la moins chère. Selon la loi sur les aides sociales, les grandes villes « devraient » assumer la solvabilisation des ménages. Par exemple, l’aide à un ménage en impayé de loyer est en moyenne de 1 000 euros. Le coût induit par une prise en charge après une expulsion est de l’ordre de 4 000 euros.
La Ville utilise également la procédure de réquisition pour permettre le maintien dans les lieux d’un locataire. Il n’y a pas de procédure spécifique. C’est la même que celle qui permet de réquisitionner des logements vacants. Pour recourir à cette procédure, la Ville doit démontrer au juge qu’elle a tout fait pour éviter la réquisition, qu’elle investit suffisamment d’argent dans le logement social notamment, ce qui est le cas à Cologne. Sa durée est au maximum de 2 périodes de 13 semaines. Le propriétaire est intégralement compensé de toute perte. Il y a 1 700 ménages logés en réquisition chaque année. En 2004, sur les 10 000 ménages pris en charge par la Ville au titre de cette obligation légale, 7 000 ménages ont accédé à un logement après avoir fait le plein des aides sociales et autres garanties de loyers apportées par la Ville. Près de 3 000 ménages avaient fait l’objet d’un véritable relogement ou d’une décision de non expulsion, 1 700 au titre de la réquisition, 500 au titre de la réservation de logements sociaux, 200 dans des logements adaptés avec accompagnement social, 100 dans des foyers d’hébergement financés par la Ville et les 400 restants à l’hôtel dans l’attente de solutions alternatives.
Cet exemple concret est révélateur de la pertinence de l’autorité publique locale en tant qu’autorité organisatrice de la mise en œuvre effective de ce droit au logement. Toutefois, les lois régionales allemandes laissent bien entendu à chaque autorité locale le soin de définir sa propre politique, ce qui peut conduire à certaines dérives et pose la question de la régulation.
A titre d’exemple, la ville de Müllheim propose quant à elle de loger les personnes sans domicile dans des conteneurs. Le Conseil municipal a en effet décidé récemment en 2006 de doubler sa capacité d’hébergement sous la forme de conteneurs. A l’origine, ces derniers avaient été utilisés comme logement temporaire pour des « cas difficiles » d’hommes sans-abri incapables de payer leur loyer et ayant causé des troubles de l’ordre public sous l’influence de l’alcool. Ces conteneurs ont été placés délibérément en dehors de la ville, à une heure de marche du centre-ville et des services sociaux communaux chargés de les encadrer. Si ceci est en contradiction avec les obligations légales, notamment avec le fait que les personnes sans domicile doivent avoir accès aux services sociaux, les autorités locales défendent leur décision en se référant à leur obligation de fournir un logement aux personnes sans domicile…
Dossiers clés
- Allemagne : la République de Weimar précurseur en matière de droit au logement
- Une tradition constitutionnelle commune aux Etats-membres
- Les engagements internationaux des Etats membres en matière de mise en œuvre effective du droit au logement
- De la proclamation du droit au logement à l’obligation de fournir un logement
- Droit au logement permanent ou droit à l’hébergement : le cas du Royaume-Uni et de l’Ecosse
- Droit au logement opposable : le cas français
- Un ancrage dans les droits sociaux fondamentaux