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Opérateurs privés

Le conventionnement temporaire de logements sociaux par les sociétés de logement : de l’importance des obligations organiques de service public

En Allemagne, les sociétés de logement relevaient de la loi sur l’utilité publique du logement jusqu’à son abrogation en 1990.

Cette loi visait à encadrer ces sociétés de logement par des obligations organiques de service public très contraignantes, notamment :

- une distribution limitée des dividendes aux actionnaires (4%) ;
- une obligation d’investissement en construction neuve ou réhabilitation ;
- la construction de logements sociaux conventionnés ou de logements libres d’une surface maximale de 130 m2 ;
- une indépendance vis à vis du secteur du bâtiment en terme d’actionnariat ;
- le respect du principe de loyers aux coûts réels historiques (Kostenmiete).

Ces sociétés bénéficiaient en contrepartie d’un traitement fiscal spécifique étant exonérées de l’impôt sur les sociétés.

L’abrogation de cette loi sur l’utilité publique du logement a bien entendu conduit à leur fiscalisation progressive mais également à la suppression des obligations organiques de service public, notamment quant à la limitation de leur objet social, à l’obligation de réinvestissement de leurs résultats, à l’obligation de construction, à l’indépendance de leur actionnariat et aux pratiques de reconduction tacite des conventionnements sociaux temporaires.

Cette banalisation des entreprises de logement est le résultat d’une grande campagne politique pour l’abrogation de leur statut d’utilité publique lancée en 1985 et orchestrée par le FDP, parti libéral membre de la coalition au pouvoir avec le CDU.

Cette campagne est intervenue dans le cadre des débats sur la réforme fiscale et dans un contexte propice à une telle banalisation, notamment un équilibre conjoncturel sur les marchés régionaux du logement, la suppression des aides fédérales au logement social, le scandale de la Neue Heimat, faillite d’une société de logement d’utilité publique gérée par les syndicats, et la progression de la vacance dans le patrimoine.

L’argumentaire développé par le FDP portait sur la rigidité des obligations organiques de service public, sur les atteintes à la concurrence non justifiées compte tenu de la situation d’équilibre sur les marchés régionaux du logement et sur leur segmentation excessive qu’induisait un tel statut.

La loi d’abrogation a été effective en 1990. Elle a conduit à la suppression des obligations organiques de service public imposées aux sociétés de logement.

Ces dernières ont été fiscalisées progressivement, une période de transition ayant été négociée entre la profession et le ministère des finances. Les conditions d’établissement du bilan fiscal initial de chacune des 3000 sociétés de logement ont été établies de façon à maximiser l’actif immobilisé et ainsi à maximiser les potentialités d’amortissement et à différer la fiscalisation effective.

En effet, l’évaluation du patrimoine de logements des sociétés s’est effectuée au prix de marché amorti sur 50 ou 40 ans, ce qui a permis un gonflement de l’actif immobilisé comparativement aux bilans commerciaux où le patrimoine était évalué en valeur nominale et amorti sur 80 ans.

Ce gonflement de l’actif immobilisé entre les deux bilans a été de l’ordre de 60 à 75%. Cette mesure s’est accompagnée soit d’un amortissement fiscal du patrimoine de 2% par an (50 ans) soit d’un amortissement accéléré sur 40 ans et d’un report illimité des pertes non plafonnées pour l’impôt sur les sociétés de logement.

Cette banalisation et cette fiscalisation des sociétés de logement a été propice à la définition de stratégies fiscales et de constitution de véritables groupes, y compris dans le secteur industriel, où les pertes des "filiales sociétés de logement" contribuent à minorer les bénéfices de la maison mère exerçant son activité dans un autre secteur, à l’exemple du groupe BAYER.

La suppression des obligations organiques de service public a ainsi remis en cause la logique de sanctuarisation des acteurs du logement social et ouvert la porte à un processus de marchandisation et à la pénétration de la sphère financière dans la gouvernance des sociétés à des fins de captation des plus-values potentielles.

Les opérations massives de rachat par des fonds d’investissement internationaux des sociétés de logement appartenant au Bund ou à ses grandes entreprises publiques, aux Länder et plus récemment aux Communes, et le développement programmé de la vente à la découpe de ces logements publics privatisés en bloc en témoignent. Le parc de logements publics ainsi valorisable d’ici 2012 est estimé à près d’1,5 millions de logements sur les 3,4 millions appartenant aux Communes, au Bund ou aux Länder.

Mais la stratégie de valorisation patrimoniale qui a conduit récemment la ville de Dresde à céder à un fond de pension américain son parc de 48.000 logements publics a également contribué à mobiliser l’opinion publique contre ces pratiques pourtant courantes mais moins visibles. Les projets de privatisation des sociétés communales de logement de Cologne et de Fribourg ont ainsi été stoppés par une forte mobilisation citoyenne, manifestations publiques à Cologne qui a fait éclatée la coalition au pouvoir favorable à la privatisation, referendum local à Fribourg qui a dit non à la privatisation et ainsi gelé toute décision du Conseil municipal pendant 3 ans.

Dès 1990, le groupe des Verts au Bundestag avait mis en garde la coalition CDU-FDP contre les conséquences à moyen et long terme de la suppression du statut d’utilité publique du logement, seul rempart à la marchandisation du logement social et la financiarisation des sociétés de logement. En effet, les Communes ont de plus en plus tendance à gérer ce patrimoine de logements publics comme s’il était de nature privée, c’est-à-dire sans tenir compte de leur mission sociale. Paradoxalement, elles ont de plus en plus de difficulté à trouver des logements pour l’hébergement d’urgence et le relogement des personnes en difficulté notamment dans les Villes les plus attractives du pays et dans les marchés régionaux tendus.

Cette pratique est selon le groupe des Verts contraire à la mission publique fixée par la Loi sur les budgets publics qui prévoit que l’engagement sur le marché sous forme de participation dans des entreprises doit impérativement relever d’une nécessité inéluctable et reposer sur le fait que seules les communes peuvent remplir cette tâche de manière optimale.

Mais comme ces Communes sont elles-mêmes en difficulté budgétaire, elles tendent à vendre leurs sociétés de logement. Le Bund, la Poste allemande et les chemins de fer en font de même ainsi que la sécurité sociale. En quelques années, ces ventes en bloc de sociétés publiques de logement ont certes permis l’assainissement des budgets publics à court terme, mais qu’en sera-t-il à moyen terme en cas de retour à une situation de tension sur le marché du logement, d’explosion des dépenses d’aides à la personne, d’assistance sociale, de reconventionnement et de soutien à la construction neuve de logements conventionnés ?

Et le groupe de Verts de proposer la constitution d’un nouveau « segment d’économie sociale du marché du logement » qui soit à même de garantir la pérennité des conventionnements sociaux par la sanctuarisation de ses acteurs et le développement de « fondations d’économie sociale du logement ».

Cet exemple concret témoigne de la capacité d’un système à basculer dès lors que certains verrous sautent, en l’occurrence celui de l’encadrement des entreprises chargées de la gestion du logement social. Il démontre clairement le caractère de nécessité des obligations organiques de service public.

Dans les autres Etats-membres, cette nécessité de sanctuarisation des opérateurs s’est traduite par la consolidation des statuts d’utilité publique, de service public, de service d’intérêt général ou de logements protégés et le développement d’entreprises de logement social dédiées et agréées soumises à des obligations organiques spécifiques.

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